Correspondence

3258.  Joseph Milsand to RB

As published in The Brownings’ Correspondence, 19, 252–257.

[Montgeron]

[late August 1853] [1]

Mon cher Browning

En relisant votre lettre, j’ai rencontré une phrase, un will you write soon [2] qui m’a donné un coup dans la conscience. Pourtant ce n’est pas tout à fait un remords: car je sens que si je pouvais toujours ce que je désirerais pouvoir, je vous aurais déjà écrit depuis longtemps. C’est plutôt un regret de voir que le temps passe et que, tandis que j’aimerais à vous suivre en esprit là-bas, je perds par ma faute une occasion d’apprendre où vous en êtes. C’est en vérité un heureux don de nature que la puissance d’écrire. Dernièrement je lisais la correspondance de Southey [3] et elle me faisait faire une infinité de réflexions. Il y a pour moi quelque chose de miraculeux dans une tête si remplie de projets et pourtant si disposée à sortir à chaque instant de ses préoccupations pour racconter [sic] tout le courant de ses affaires. Ce qui m’étonne surtout c’est qu’après avoir dépensé tant de force on en trouve encore assez pour expédier la tâche à demi mécanique de mettre en paroles ce qu’on veut dire.– Est-ce que les hommes qui ne sont pas capables de cet exploit ont au moins une compensation? Est ce que l’incapacité de correspondre vient purement de ce qu’ils ont moins de force ou viendrait-elle de ce que ils font un autre emploi de leur force?– Je n’en finirais pas avec mes questions et je les laisse là; car je ne sais pas comment y répondre quoique j’incline à croire qu’il y a en tout cas une belle faculté à pouvoir ainsi échapper à son démon familier– D’ailleurs de tous les péchés c’est l’envie que j’aime le mieux; mais l’envie sans envie bien entendu. Comprenez moi si vous pouvez–

Je sais par votre sœur et votre père que vous êtes aux bains de Lucques et que vos santés ne sont pas mauvaises; mais depuis assez longtemps j’ai peu vu votre monde car je suis souvent hors de Paris. Voilà un mois que je passe à peu près tout mon temps dans les environs [4] en attendant le mois de septembre où je pousserai jusqu’en Bourgogne. La campagne est bien belle ici et je trouve un grand plaisir à me baigner sous les saules et à m’etendre dans les prairies. Les oiseaux au milieu d’un marronnier n’ont pas plus <épais marronnier ne sont pas plus perdus au> [5] de vert autour d’eux. Darley aussi a fui. Il est allé respirer l’air de la mer: [6] mais le pauvre homme est assez faible et j’apprends que le voyage l’a fatigué. C’est lui en effet qui est l’auteur des trois articles sur le Salon qu’a publiés le journal de Galignani. [7] Comme vous avez pu le remarquer jamais les exigences d’un article—car on exigeait de lui un pur catalogue,—n’ont autant conspiré pour mettre un homme hors de sa voie; et jamais homme, par excès de conscience, ne s’est acharné autant à étouffer sa lumière sur le boisseau. Aussi ses articles ne peuvent-ils guère frapper les yeux ordinaires: mais pour ceux qui savent voir il y a là si je ne me trompe la crème d’un homme. Darley a en lui des masses de choses qui s’en iront avec lui sans que personne s’en doute; et ceci je le pense de sa peinture comme de sa tête &. C’est une noble nature de toutes pièces. Vous me parlez du frère de Tennyson. Darley aussi me fait songer souvent à ces malheureux je ne sais quoi qui empêchent tant d’hommes remarquables de produire. Lui, ce n’est pas qu’il soit tout à fait le seul coupable; il y a dans ses manières une certaine gentilhommerie qui fait que personne ne veut le prendre pour un peintre et qu’on croirait lui manquer en lui proposant un travail. Pourtant il a aussi son péché je le crains; mais c’est un péché honorable. Ce qui empêche ses mouvements c’est que dans un sens il est trop bien doué. Il n’a jamais pu assez opter entre le désir de connaître, et le plaisir de s’arrêter au côté pittoresque des choses. A tout moment il peint pour faire des expériences.

Si je voulais me laisser aller à vous dire tout ce que votre lettre fait arriver à la surface dans ma tête j’aurais trop de besogne. Les aventures terrestres de votre drame, [8] aventures que je juge comme vous absolument, me rappellent en particulier que j’ai lu dernièrement le Cosmo de Medici de Mr Horne: [9] quel étrange mélange de maladresse, d’affectations, de non-sens quant aux caractères et pourtant de magnifiques élans: car il en a qui vont jusqu’au sublime. Mais que peut on faire avec du sublime? Voila précisément la question qui me semble envelopper le sort du théâtre chez vous et chez nous. En somme j’en ai peur toutes les beautes qui viennent à l’imagination ne contribueront jamais à faire réussir une pièce[.] Ce sont les éléments mélodramatiques ou passionnés qui peuvent seuls produire le résultat: succès. Reste donc à savoir s’il est possible d’infiltrer en plus les belles fureurs et les belles hallucinations de l’imagination sans que cela empêche la pièce de renfermer à dose convenable cette âme la matière physique par laquelle les pièces ont le pouvoir de marcher[,] de viver, et de faire plaisir aux spectateurs en leur donnant des coups de poing … à l’instar des amoureux de village. Wordsworth dans sa jeunesse, vous le savez, avait beaucoup rêvé de s’ouvrir le chemin de toutes les âmes en prenant pour sujet de ses peintures les sentiments naturels, les affections communes à tous les hommes. Et pourtant quel a été le résultat—et lui-même qu’était-il venu à penser dans sa vieillesse[?] Il est très vrai que les affections naturelles peuvent servir de matière à une sublime création: mais si la création est hors ligne: c’est que une imagination hors ligne ou une sensibilité hors ligne a permis au poète de pousser l’affection ordinaire jusqu’à un développement extraordinaire: en d’autres termes c’est qu’il en a fait une nouvelle affection qui touche à toutes les autres côtés de l’âme et qui est aussi extraordinaire que la plus colossale conception issue d’une vision qui l’incitait à embrasser à la fois tout l’ensemble des choses.

C’est que l’affection naturelle s’est transfigurée en s’alliant à toutes les délicatesses en se conciliant avec les exigences contraires de toutes les autres sentiments [sic] en arrivant à se mettre en accord avec toutes les autres possibilités de l’être humain d’une manière qui n’est nullement naturelle.

En somme j’en ai peur et en dépit de tout le progrès qu’on peut rêver chez les hommes ce ne seront jamais les qualitiés et les mérites d’imagination qui feront le succès d’une pièce devant un auditoire. Mais je crois qu’on peut glisser et qu’on doit précisément viser à glisser ces mérites en sus et à côté des éléments mélodramatiques et passionnés qui font le succès. Reste à savoir seulement jusqu’à quel point on peut surajouter ces visions de l’âme sans empêcher qu’une pièce renferme d’autre part, à la dose voulue cette autre matière physique par la quelle chez lui surtout je vois l’opération d’une faculté j’entends la vibration d’une corde qui manque entièrement chez nos écrivains. J’y trouve une certaine imagination, une certaine direction de l’imagination dont l’absence me frappe chez nos écrivains. Vous a-t-elle frappé vous aussi[?]

Et encore le sentiment et les affections n’auront jamais autant de fascination que les combinaison[s] mélodramatiques. Hier en voyant filer tout à côté de moi un convoi de chemin de fer à grande vitesse je faisais précisément cette réflexion. En me sentant remué par le seul passage rapide des wagons ou de leur image en moi je me disais[:]

Voilà bien le type de ces mouvements d’âme qui sont entièrement produit[s] par le mouvement du dehors: et pour les masses rien n’aura jamais autant d’attrait que les œuvres qui se chargent de remuer toutes seules l’auditeur sans qu’il ait rien a faire qui se chargent de le remuer par la seule succession des secousses que peuvent causer les incidents qui se succèdent.

C’est une étrange étude que toutes les formes de cette maladie d’impuissance.

J’ai vu des hommes qui ne pouvaient rien par un excès de facultés parce que chez eux deux facultés contraires étaient trop également développées– J’en ai vu qui ne pouvaient rien parce qu’ils ne pouvaient se décider entre la curiosité de connaître et entre le plaisir d’admirer et de remarquer les charmes et les beautés et les belles formes d’effet qui sont dans les choses et leur manière d’apparaitre. J’en ai vu—peut-être est-ce une maladie qui vient de la même cause, parce que leur activité créative était trop incessante et parce que une invasion une irruption constante de nouvelles intentions transformaient sans cesse leur conceptions: parce que leurs conceptions poursuivaient sans cesse leur ascension embryonnaire sans vouloir s’arrêter à aucune manière d’être définitive. J’en connais d’autres qui sont impuissants par la cause contraire parce que chez eux la concentration est trop forte parce que leur tête et leurs facultés s’éblouissent et se faussent en convergeant trop sur une seule préoccupation. Les uns sont comme des sociétés qui n’ont pas de gouvernement parce qu’elles renferment deux partis contraires trop égaux en force: d’autres sont comme des sociétés où le pouvoir absolu d’une seule volonté finit par entraîner l’épuisement et la paralysie des ressorts auxquels elle ne laisse nul jeu.

Publication: None traced.

Source: Author’s draft [10] at Armstrong Browning Library, Joseph Milsand Archive.

Translation:

[Montgeron]

[late August 1853] [1]

My dear Browning

Upon re-reading your letter, I encountered a phrase, a will you write soon, [2] which made me feel a pang in my conscience. Yet it is not quite remorse: for I feel that if I could always do what I wished I could do, I would already have written to you long ago. It is rather a regret to see that time goes by, and that, while I would like to follow you in spirit over there, I lose through my own fault an opportunity to learn at what stage you are. The ability to write truly is a fortunate gift of nature. Lately I have been reading Southey’s correspondence, [3] and finding it infinitely thought-provoking. There is for me something miraculous about a mind so full of projects, and yet so willing to leave its pursuits at every moment to relate the course of its activities. What surprises me above all is that after expending so much strength, one can still find enough left to dispatch the semi-mechanical task of putting into words what one means.– Do men who are not capable of this feat at least get a compensation? Does the inability to correspond merely come from the fact that they have less strength, or does it come from their making a different use of their strength?– My questions would never end and so here I leave them; for I don’t know how to answer them, though I tend to believe that there is at least a beautiful ability to escape one’s familiar demon that way.– Besides, out of all sins, envy is the one I like best; but envy without envy of course. Understand me if you can–

I know from your sister and your father that you are at the baths of Lucca, and that both of you are enjoying reasonably good health; but I have not seen very much of your people for a fair while, because I am often out of Paris. For a month, I have been spending almost all my time in the environs, [4] waiting for September, when I will go all the way to Burgundy. The countryside is quite beautiful here, and I find it very pleasurable to bathe under the willows and to lie down in the meadows. Birds in the midst of a chestnut tree do not have more <thick chestnut tree are no more lost in> [5] greenery around them. Darley has fled too. He went to the seaside for the air; [6] but the poor man is rather weak and I understand that the trip has tired him. He is indeed the author of the three articles about the salon that were published in Galignani’s review. [7] As you may have noticed, never have the demands of an article—for a pure catalogue was demanded of him—so conspired to misdirect a man; and never has a man, by excess of conscientiousness, persisted so much in hiding his light under a bushel. As a result, his articles can scarcely impress ordinary eyes; but, if I am not mistaken, to those who can see, the best of men shines through. Darley has in him masses of things that will die with him without anyone suspecting it; and I think that of his painting as well as of his mind etc. He is entirely of a noble nature. You mentioned Tennyson’s brother. Darley too often makes me think of these unfortunate je ne sais quoi which prevent so many remarkable men from being productive. In his case, the responsibility is not quite his; there is in his manners a certain gentlemanliness which makes people unwilling to see him as a painter, and afraid of offending him by offering him a job. Yet he also has a fault, I fear; albeit an honourable one. His moves are constricted, because in a way he is far too gifted. He could never make up his mind well enough to choose between the desire to know and the pleasure of stopping at the picturesque side of things. At any given time, he paints to experiment.

If I allowed myself to tell you everything your letter brings to the surface of my mind, the task would be too great. The earthly adventures—which I entirely view as you do—of your play [8] remind me especially that I recently read Mr Horne’s Cosmo de Medici: [9] what an odd mixture of clumsiness, affectation, nonsense regarding characters, with however some magnificent outbursts: for he has some that reach the sublime. But what can one do with the sublime? That is precisely the question which seems to me to encompass the fate of the theatre in your country and in ours. In short, I am afraid that all the beautiful things which occur to one’s imagination will never contribute to making a play successful[.] Only melodramatic or passionate elements can lead to the result: success. Thus there remains to be seen whether it is possible to slip in, on top of that, the beautiful fury and the beautiful hallucinations of the imagination, without preventing a play from holding a fair amount of that soul, the physical material thanks to which plays have the power to do well[,] to live, and to please the audience by punching them … in the way of village lovers. As you know, Wordsworth, in his youth, had dreamt of finding the way to reach all souls by choosing as the object of his work natural feelings, affections that all men share in. And yet what was the result—and what had he himself come to think in his old age[?] It is very true that natural affections can serve as material for a sublime creation: but if this creation is out of the ordinary: for it is an imagination out of the ordinary, or a sensitivity out of the ordinary which enables the poet to take common affection and develop it to an extraordinary extent: in other words, he turns it into a new affection which reaches out to all other aspects of the soul, and which is as extraordinary as the most gigantic conception stemming from a vision that induced him to broach the whole of things all at once.

Indeed, natural affection was transfigured when it was associated with all the refinements, reconciled with the contradictory demands of all other feelings, and when it could be put in keeping with all other possibilities of the human being, in a way which is not natural by any means.

In short, despite all the improvements that can be dreamt up in men, I am afraid that it will never be the qualities and merits of the imagination which make the success of a play in front of an audience. But I do think that one can slip in, and indeed must precisely aim to slip in, those merits on top of, and besides, the passionate and melodramatic elements which lead to success. There only remains to be seen to what extent these visions of the soul can be superimposed without preventing a play from holding as well, in suitable amounts, this other physical material through which, in him especially, I can see the operation of a faculty, I can hear the vibration of a string which is entirely lacking in our own writers. Did this strike you too?

And yet feelings and affections will never exert as much fascination as melodramatic combinations. Yesterday, as I saw a goods train whiz past me at high speed, I was remarking precisely on this. Feeling shaken by the mere quick passing of the carriages, or by their image in me, I was thinking to myself:

This is typical of the movements of the soul that are produced entirely by external movement: and nothing will ever appeal to the masses as much as the works which take care of moving the spectator by themselves, without his having to do anything; which take care of moving him through the mere succession of the jolts that successive incidents may cause.

All the forms of this powerlessness disease make for a strange study.

I have seen men who couldn’t do anything out of excess abilities, for two contrary faculties were too evenly developed in them—I have seen some who couldn’t do anything because they couldn’t make up their minds between, on the one hand, the curiosity of knowing and, on the other, the pleasure of admiring and noticing the charms, the beauties and the beautiful forms of sightliness pertaining to things and the way they look. I have seen some men—perhaps it is a disease originating from the same cause, because their creative activity was too unceasing and because an invasion a constant irruption of new intentions would ceaselessly change their conceptions: because their conceptions ceaselessly continued their embryonic ascent without inclination to stop and pick a definitive mode of being. I know others who are powerless for the opposite reason, because their own focus is too strong, because their heads and other faculties are blinded and warped as they are too convergent upon one preoccupation. Some are like societies which have no government because they comprise two opposite parties that are too equal in strength: others like societies where the absolute power of one will ends up leading to the exhaustion and the paralysis of springs, as it leaves no room for play.

1. Approximate date suggested by Milsand’s references to his absence from Paris, his departure for Burgundy in September, and William Darley’s trip to the seaside. In a letter to Darley, dated Paris, 17 August 1853, Milsand mentions these subjects and reveals that he learned of his friend’s holiday only “this morning” (ms at ABL/JMA). Milsand, in his next letter to Darley, dated 30 August 1853 (ms at ABL/JMA) and also written from Paris, declares that he is about to leave for Dijon. Consequently, we place this letter between the two Darley letters and towards the end of Milsand’s stay outside Paris.

2. See the penultimate sentence before the closing in letter 3214.

3. The Life and Correspondence of Robert Southey (6 vols., 1849–50), ed. Charles Cuthbert Southey.

4. In all probability, Milsand was staying in Montgeron, a commune some 10 miles S.S.E. of the center of Paris. Later Milsand correspondence indicates that he and his future wife, Laure Thérèse Henry (1826–96), at times shared a residence there. Their only child, Claire Thérèse Milsand (afterwards Blanc-Milsand, 1853–1934) was born in Montgeron on 4 December 1853, as documented by a certificate for admission to catechism class, dated 24 May 1869 and signed by her (ms at ABL/JMA).

5. Interpolated above the line.

6. His address at this time was “Chez Mon. Angot, Avocat / St. Valery en Caux (Seine inférieure), as written by Milsand on the envelope of his 17 August 1853 letter to Darley (ms at ABL/JMA).

7. See letter 3214, note 9.

8. Colombe’s Birthday.

9. Published in 1837.

10. In transcribing this letter, the editors have supplied missing accents, hyphens, and apostrophes.

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